Alain Gillot, lauréat 2015 du Prix Jules Rimet, était membre du jury de cette nouvelle édition 2016 qui a consacré Daniel Rondeau. Le lendemain, il nous envoyait ces quelques mots.
« Il était convenu de se retrouver chez Walzcak, « aux sportifs réunis », restaurant fondé par un ancien mineur, boxeur au grand coeur, qui lassé d’amocher les bonshommes, a préféré les asseoir, pour mieux les régaler.
La porte d’entrée dit tout. Pas de poignée à l’extérieur, il faut qu’un ami vous ouvre, ou bien le patron, pour vous dire comme on tient à son intimité, dans cet endroit. Nous avons délibéré au champagne et au saucisson, et ce ne fut pas difficile de décerner le prix au vice roi de Malte (1), par ailleurs pressenti pour l’Académie, qui possède un jab redoutable et un œil d’aigle.
Le rhinocéros du jardin des plantes, que des déménageurs sans états d’âme ont abandonné là un jour d’ivresse, nous a gueulé dessus toute la soirée, mais nous n’avons rien entendu, occupés à converser avec les habitués du lieu, Blier, Ventura, Francis Blanche, Bebel et j’en passe, qui ne quittent jamais vraiment ces vertes banquettes. Il y avait même Brassens tout au fond, griffonnant ses rimes sur un coin de nappe. Qui sait si ce n’était pas pour la patronne ?
Nous avons célébré Cerdan, le père, Anquetil tout seul et Bahamontes le haut, Curkovic et les Revelli, et même Ray Sugar Robinson, a qui le fondateur des lieux a appris à compter jusqu’à huit, ce n’est pas donné a tout le monde. A la fin, tout s’est mélangé, l’aigle de Tolède et la tortue qui veille sur la cabine téléphonique, le grand Jacques et le prince des pommes sautées. Nous n’avons tourné le dos à rien. La vie se mange de face, et saignante.
Tard dans la soirée, nous avons convoqué les Stéphanois, on le fait toujours, la bataille de Kiev, et nous avons revisité le temps des barbares, quand du côté d’Auteuil, les hordes d’anglais déferlaient dans les supermarchés, pour y dévaster le rayon des bières et dribbler des légions de CRS.
Nous-nous sommes souvenus de tout, ou presque, des scores, de l’état de la pelouse, de la couleur des maillots, de la composition des équipes et de combien gagnaient les joueurs. Nous-nous sommes mêmes rappelés de nous, enfants, en tribune, impatients d’entrer sur le terrain, pour jouer notre partie, en espérant tout donner. Ce match là, on en finit pas de le rejouer.
Nous avons fini par nous regrouper à une table, quelques irréductibles, bien décidés à nous défendre jusqu’à épuisement des dernières munitions. Il y a des soirs où la tristesse ne peut pas gagner. Elle pourrait jouer mille ans. Toutes ses frappes passent à côté. La poire est arrivée en renfort, et nous avons décidé une prolongation, sans aller toutefois jusqu’aux pénalty. Car, comme vous le savez, l’amitié n’est pas une loterie, mais un sport d’équipe. »
Alain Gillot.
(1) Daniel Rondeau a été ambassadeur de France à Malte de 2008 à 2011.
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