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À la passion…

Dernière mise à jour : 14 juin 2019



Je suis un enfant vivant dans un rêve.


Sous un soleil d’été, je cours avec le maillot de la Céleste. La pelouse est belle, on y passerait sa vie. Soudain, il n’y a plus de travées vides, ce n’est plus le stade Charlety et nous ne sommes plus en août 2013. Le temps file, les couleurs se délavent, la clameur monte. Mes jambes me portent face aux Brésiliens, chez eux, là, au coeur d’un Maracana explosif. Je suis cerné par une Nation entière qui réclame son dû bien avant le coup de sifflet final.


Nous sommes en 1950, c’est la finale de la Coupe du monde, que mon pays a remporté vingt ans avant. Ils marquent. Même un match nul leur offrirait le trophée Jules Rimet, ce grand homme, lui et son discours en brésilien déjà écrit. Mais rien n’est écrit dans un match, n’importe lequel, même au fin fond d’un terrain vague, rien n’est joué d’avance. Le ballon me parvient, je contrôle, j’oublie les cris, l’odeur des fumigènes après le but de Friaça, les journaux et mouchoirs agités, j’oublie où je suis, moi qui ne suis qu’un enfant qui joue, un gamin de Montevideo, Alcides Ghiggia, rapide, technique, insaisissable avec cet objet entre les pieds, cette petite folie à apprivoiser, à aimer, à faire mienne, je file et dribble. Le défenseur, Bigode, ne pourra rien malgré sa charge, sa chair, ses os, ses muscles animés par la rage ne pourront rien, tout son être sera effacé, annihilé comme dirait mon professeur à l’école, comme un voile soulevé par le vent. Je déborde et centre à Schiaffino qui ne manque pas l’occasion d’égaliser. C’est la stupeur dans un stade devenu la cathédrale des âmes mortes. Pour nous c’est un début de délivrance, nous les Charruas. On y croit désormais. Les minutes suivantes s’égrènent dans une ambiance tendue. Plus le temps passe et plus l’inévitable approche… Quand je marque le but de la victoire, je suis heureux mais frappé par la tristesse générale. Je ne verrai jamais de ma vie un aussi grand enterrement. Mon pays, l’Uruguay remporte son deuxième titre mondial, mais le Brésil n’oubliera jamais…


J’ouvre les yeux, je vois la caméra qui me fixe. En face de moi se tient un joueur qui porte le maillot blanc que la Seleçao ne portera plus jamais depuis la défaite de 1950. Je dois déborder et centrer. Une autre caméra filme un plan large du haut des tribunes de Charlety. L’action se déroule à la perfection. Plusieurs prises. On la tient. Le temps de trois journées de tournage, j’ai vécu dans la peau de Ghiggia. Me reviennent les heures joyeuses du premier jour sans tourner, avec les vingt-et-un autres joueurs/acteurs d’abord piaffant d’impatience, frustrés de ne pas monter sur la pelouse pour commencer à travailler, puis comblés par d’interminables matchs en chaussettes dans le gymnase de Charlety, ce jour-là, puis les suivants entre deux prises, avec ce ballon fabriqué comme des gosses de rue l’auraient fait, de bouts de plastique et de Scotch noir. Nous aurions pu jouer jusqu’à l’épuisement avec cette balle de fortune, prêts à enfiler la paire de chaussures d’époque et à nous mettre au service du film « United Passions », un film longtemps sans image, un secret bien gardé jusqu’au festival de Cannes 2014, cette histoire de la Coupe du monde à travers les destins de son fondateur, Jules Rimet (Gérard Depardieu), de Joao Havelange (Sam Neill) et Sepp Blatter (Tim Roth), réalisé par Frédéric Auburtin et tourné en France, Suisse, Brésil et Azerbaïdjan, basé sur un scénario de F. Auburtin & J.-P. Delfino.


Jouer le passeur et buteur uruguayen Alcidès Edgardo Ghiggia lors de cette finale 1950 opposant le Brésil à l’Uruguay, moi qui coordonne les ateliers d’écriture du Prix littéraire Jules Rimet, a été un sacré clin d’oeil du destin à l’écrivain que je suis, mais aussi à l’éternel gamin, toujours inscrit en club, milieu de terrain à l’A.S. Philippe Garnier où plaisir et compétition, mais aussi amitié et simplicité vont de paire.


Personnellement, je garderai en souvenir un tournage magnifique avec Frédéric Auburtin, autour de Samuel Tudela et tous les acteurs/footeux dont Xavier Jozelon (gardien/Uruguay), Jacopo Menicagli (Schiaffino/Uruguay), Alonso Venegas Flores (Uruguay), Nicolas Robert (Uruguay), Leossi Elkhomssi (Brésil), Abel Saint-Clair (Brésil), Roger Minko (Brésil), Stéphane Kinasz et tant d’autres pour une belle expérience collective et des joies enfantines, comme nos parties de foot interminables entre chaque prise.


Et comme les bonnes choses ne viennent jamais seules, j’en profite pour signaler la parution d’un petit bijou littéraire et historique qui vient de sortir, « Le Journal de Jules Rimet » de Renaud Leblond (avec la participation d’Yves Rimet, petit-fils de J. Rimet).


L’arrivée de ce livre me réjouit d’autant plus que « United Passions » figure dans la sélection officielle à Cannes (hors compétition) et qu’ainsi la figure emblématique du fondateur du Red Star et créateur de la Coupe du monde de football sera d’avantage connue des plus jeunes.


Merci à Renaud Leblond pour m’avoir évoqué dans l’ouvrage.


Vive le football, vive le cinéma, vive la littérature !



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